Le pari de l’unité paysanne à Madagascar
Une organisation locale de familles rurales devient progressivement le fer de lance du développement agricole et rural dans toute l’île
décembre 2001
Madagascar dispose de grandes ressources, en particulier agricoles, mais de nombreuses années d’incurie politique en ont fait un des pays les plus pauvres de la planète. Sa population rurale souffre tout particulièrement. En plein centre de la Grande Ile, la région de la Moyenne Mania est parmi les plus déshéritées ; c’est pourtant de là qu’est partie une initiative d’organisation du monde rural malgache. Monsieur Rakotondrazafy en est l’une des principales chevilles ouvrières. En 1985 s’est créée, à l’initiative des Eglises locales, l’Association pour la valorisation, l’extension et l’aménagement de la Moyenne Mania (AVEAMM). Très vite cependant, les paysans locaux ont pris conscience que la maîtrise de cette association leur échappait au profit de populations urbaines ou de dirigeants religieux et ils décidèrent de s’organiser eux-mêmes. Ainsi, en 1989, une cinquantaine de groupements villageois de la région (450 familles environ) créèrent la Fikambana Fampivoarana ny Tantsaha, ou FIFATA, association pour le progrès des paysans. Beaucoup de ses membres étaient des militants de la jeunesse agricole chrétienne, qui voulaient que leur association puisse aussi bénéficier aux nombreux paysans non-chrétiens de la région.
La première activité de la FIFATA fut la mise en place d’un système de micro-crédit, aidée en cela par l’AVEAMM et par la FERT, une organisation professionnelle agricole française pour la coopération internationale en matière de développement rural, sollicitée par l’entremise d’une association parisienne de Malgaches de la région d’Antsirabé (CISAL). La FIFATA créa ensuite, pour gérer ses activités, des Caisses d’épargne et de crédit agricole mutuels (CECAM). Enfin, un réseau de coopératives d’achat de fournitures agricoles (semences, produits phytosanitaires, matériel) ou de stockage et de vente des produits (surtout pour le riz) vit le jour. Son objectif est, bien évidemment, de garantir de meilleurs prix des produits à l’achat et à la vente. Ces différents dispositifs ont rapidement pris une grande ampleur. Aujourd’hui, ce sont 60 000 familles qui participent et bénéficient de leurs activités. Les caisses agricoles (URCECAM et UNICECAM, avec le soutien de l’Internationale de crédit agricole et rurale, filiale du Crédit Agricole français), comme les coopératives, se sont organisées au niveau régional et national et atteignent respectivement 7,5 milliards FMG de volume de crédit et 3,4 milliards de chiffre d’affaires. De nombreux partenariats ont également été liés avec des organisations professionnelles, des instituts de recherche agronomiques, des organisations non-gouvernementales, des fondations, des institutions internationales. Ensemble, tous ces acteurs cherchent à développer les activités de l’Ile et à lancer des programmes de formation technique ou commerciale des populations rurales avec, toujours, le souci de coller au plus près des besoins des gens.
N’oublions pas que la motivation principale de ces initiatives est le souci d’une plus grande unité du monde paysan à Madagascar. Un constat a été exprimé en 1993 : « La constitution de groupements de base ou d’associations villageoises est une étape, certes nécessaire, mais bien insuffisante pour que les paysans se libèrent de la domination économique et sociale traditionnelle. Ces groupements ou ces associations locales risquent en effet d’être intégrés dans des filières commerciales entièrement contrôlées par l’agro-industrie, d’être soumis à de nouvelles tutelles, administratives et financières, ou encore d’être récupérés par des forces politiques ou économiques qui les dépassent. Pour que les paysans puissent véritablement s’émanciper et prendre toute leur place dans le développement économique national et dans la société malgache, il leur faut se regrouper à plus large échelle et de manière autonome, entre agriculteurs. » Le lancement de ce programme de structuration et d’unification fut donné à l’occasion du congrès de 1994. A ce jour, sept régions malgaches ont réussi à mettre en place une organisation régionale et une Fédération nationale des organisations agricoles est en cours de constitution. Dès maintenant, les effets de cette organisation se font sentir dans la capacité des ruraux à peser sur les débats et les décisions en matière de politique publique. Le système des groupes de travail pour le développement rural, lieux de concertation entre les différents acteurs concernés, initié en Moyenne Mania en 1997, a été étendu par décret national en 1999 à tout le pays. La FIFATA participe à l’élaboration du Plan d’action pour le développement rural et les paysans malgaches sont mieux représentés dans les instances internationales comme la Fédération internationale des producteurs agricoles, le Bureau international du travail (BIT), l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la Banque Mondiale, etc.
Des questions brûlantes sont actuellement en débat, à commencer par la nécessité d’une vaste concertation nationale sur les prix du riz et les tarifs à l’importation, sans laquelle le retour de l’Ile à une plus grande indépendance alimentaire ne sera pas possible. La sécurisation de la propriété foncière est aussi une priorité. L’unité paysanne à Madagascar reste cependant un défi. Deux difficultés la ralentissent. D’une part, les groupements locaux ont souvent été suscités ou accompagnés par des ONG étrangères très diverses aux orientations parfois divergentes. D’autre part, les Malgaches restent marqués par des habitudes de passivité et d’attentisme et la responsabilisation des personnes nécessite de gros investissements en éducation et en formation : c’est là une des priorités de la FIFATA. Pour ce qui concerne les institutions financières et commerciales, elles doivent aussi résister à la tentation de répondre à toutes les demandes et de se trouver ainsi emportées dans un mouvement de développement trop rapide par rapport aux moyens humains et financiers à leur disposition.
Commentaire
Monsieur Rakotondrazafy fait montre dans son activité de très grandes largeur et profondeur de vue. En considérant les problèmes et les besoins concrets des personnes, il est amené à étendre son action au niveau régional, puis national, et même international, et à aborder des problèmes en connexion avec des enjeux de plus en plus vastes de développement. Ce faisant, il contribue à la structuration de la société civile malgache et à sa participation à l’élaboration et à la mise en oeuvre de l’action publique. Dans une société dont le passé a largement obéré la capacité d’initiative, il s’agit incontestablement d’une action d’extrême importance, et pas seulement pour les populations rurales.
Sources :
D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html