Vers une politique publique de logement social à Antananarivo, Madagascar

Anne-Laure Wittmann, avril 2010

Comptabilisant actuellement 1,8 million d’habitants (dont les deux-tiers se trouvent au niveau du « noyau » qu’est la Commune Urbaine d’Antananarivo - CUA), la population de l’agglomération d’Antananarivo est appelée à doubler dans les 25 prochaines années selon les projections démographiques.

L’agglomération d’Antananarivo subit de plein fouet les dysfonctionnements résultant d’une forte pénurie de logements. Aux quartiers privilégiés nichés sur les collines s’opposent les bas quartiers aux terrains inondables où se sont installés spontanément des centaines de milliers d’habitants. Les constructions précaires prolifèrent par juxtaposition d’initiatives individuelles.

Une offre de logement insatisfaisante et marquée par la précarité

Une part très élevée des logements de ces quartiers pauvres est en mauvais état et devient par conséquent vecteur d’insalubrité (problèmes d’infiltration d’eau, d’humidité du sol et des murs, inondations récurrentes).

De nombreux dysfonctionnements sont observés au sein des habitations, souvent liés aux modes d’occupation du logement (surpeuplement), du terrain (surdensification bâtie) associés à un manque d’investissement (impécuniosité ou abandon du bien et de son environnement proche). Faute de moyens financiers à investir dans le logement, les habitants des quartiers défavorisés vivent dans des constructions faites de matériaux de récupération (planches de bois, tôles, bâches, boue séchée) ou de briques. Elles sont souvent de petite taille et occupées par des familles de 5 personnes en moyenne ; beaucoup vivent ainsi dans la promiscuité d’une pièce unique destinée à accueillir l’ensemble des activités quotidiennes. La fragilité de ces habitations n’offre que peu de résistance aux intempéries (fortes pluies et inondations). Le niveau de confort y est très modeste (absence d’assainissement, d’alimentation en eau ou d’électricité). L’accès y est difficile en raison de l’état des ruelles non pavées et de l’eau pluviale stagnante dans des zones creuses.

Une insécurité foncière pesante

Beaucoup sont en situation foncière précaire, en raison de l’absence ou de la non-régularisation des titres fonciers prouvant la possession de la terre sur laquelle ils vivent depuis parfois plus de 20 ans. Les difficultés des autorités domaniales et communales à sécuriser les parcelles, à mettre à jour le cadastre et à réaliser le Plan Local d’Occupation Foncière, ainsi que la complexité, les coûts et les délais des procédures foncières, freinent toute tentative de régularisation de la part des habitants. Cette insécurité permanente n’encourage pas l’installation pérenne de familles qui ne souhaitent pas investir dans un logement qu’ils pourraient se voir confisquer ou démolir.

Un déficit en termes d’infrastructures et d’équipements collectifs

Les infrastructures collectives et les équipements de proximité des quartiers de la basse ville sont jugés insuffisants par les autorités locales comme par la population. Ils posent des problèmes de santé et d’hygiène flagrants (manque de bornes fontaines publiques, absence de blocs sanitaires, de lavoirs collectifs) et accroissent les lacunes socio-éducatives (écoles, dispensaires, centres de loisirs et d’animation).

Au sein des quartiers, de nombreuses ruelles et chemins en terre battue restent non aménagés. Ceci rend toute collecte d’ordures impossible selon un système classique, favorisant le développement de décharges sauvages dans les espaces non construits ou en bordure de ruelles. La rivière Ikopa, qui borde certains de ces quartiers, devient alors le recueil des eaux usées et de toute sorte de déchets domestiques.

Un accès au crédit difficile

La fluctuation des revenus d’une grande partie des habitants, associée à l’absence quasi systématique de preuve formelle de leurs activités ou revenus, ne leur permet pas d’accéder aux crédits Habitat existants dans le système bancaire classique qui exigent des garanties élevées. Si, sur Antananarivo, les institutions de micro-crédit existent, les offres de produit Habitat adaptés à cette population sont encore trop rares.

Pratiques actuelles de « logement social » à Madagascar

Jusqu’à aujourd’hui, l’inexistence d’une véritable politique de logement social, à l’échelle nationale comme sur le plan local, a favorisé le développement anarchique et accéléré de tissus d’habitat caractérisés par une grande précarité. Le terme « logement social » est à utiliser avec précaution, notamment dans le contexte particulier de Madagascar. Pensé dans ce projet comme logement accessible à tous, surtout aux classes sociales les plus défavorisées, le terme de logement social est cependant historiquement rattaché à la politique de développement de logements de fonction menée par les Ministères de l’Etat malgache. Ce dernier, d’abord engagé dans une politique de réduction de la pauvreté privilégiant subsistance alimentaire et amélioration de l’éducation et de la santé, commence également à se préoccuper des problématiques liées au « mal-logement ». Le Projet s’inscrit donc au sein d’une réflexion émergente à fort caractère social.

Sur l’agglomération d’Antananarivo, plusieurs initiatives attribuées à des ONG ont pu contribuer à l’amélioration des conditions de vie de populations en grandes difficultés (familles expulsées, sinistrées, économiquement et socialement fragiles) par la mise en place de projets dits de réinsertion. Les populations sont souvent déplacées dans de nouveaux « villages » localisés pour la plupart en milieu périurbain ou rural, aggravant les risques de perte de repères et de déconnexion socio-économique.

Enda Océan Indien a opté pour une autre démarche visant à améliorer sur place le logement des habitants, sans déracinement. Depuis 2001, et avec l’appui notamment de la Fondation Abbé Pierre, Enda Océan Indien a réalisé plus de 200 logements avec un système de micro-crédit et d’accompagnement technique des familles. Les partenaires pour le crédit (OTIV et CEFOR) atteignent un taux de remboursement proche de 100%. Les techniques de construction utilisées sont à moindre coût, conçues avec des matériaux durables.

Des politiques publiques encore peu audacieuses sur le logement social

Afin de décongestionner le centre-ville et d’orienter les actions d’aménagement territorial vers un rééquilibrage de l’agglomération et un développement harmonieux de cette dernière, diverses stratégies ont été élaborées au début des années 2000 et notamment le Plan d’Urbanisme Directeur (PUDi) du Grand Antananarivo, adopté le 11 août 2006 par décret du Conseil du Gouvernement. Ce PUDi préconise notamment l’implantation des futures populations issues des croissances naturelles et migratoires de l’agglomération dans certaines zones périphériques, que l’on retrouve sur le territoire des communes membres de l’OPCI du Grand Antananarivo FIFTAMA. Enfin, en termes d’actions, ce plan préconise la mise en place de restructuration de quartiers à travers des outils tels que les Plans d’Urbanisme de Détail.

Enfin, à la demande de la CUA, le Plan Vert d’Antananarivo (2006) vient compléter le PUDi et apporte une approche et une philosophie environnementale au sens large du terme : y sont intégrées les dimensions de développement durable, de commerce équitable, de promotion culturelle et de respect des populations d’Antananarivo.

Un projet ambitieux mais réaliste formulé par des ONG

Une étude de faisabilité sur le thème du logement social dans la ville d’Antananarivo et dans le FIFTAMA a été réalisée en 2005 pour le compte du groupement d’ONG Enda, le GRET et Inter Aide, en collaboration avec la Coopération Française et le Bureau de Développement d’Antananarivo de la CUA. L’étude a montré l’absence de projet de logements sociaux à grande échelle destinés aux familles démunies. Elle a souligné à la fois l’intérêt que peut susciter un tel projet chez les acteurs institutionnels ainsi que les besoins exprimés par les habitants.

Ainsi, les habitants des quartiers pauvres d’Antananarivo et du FIFTAMA aspirent à un logement en dur (briques), avec cuisine, permettant une occupation salubre et un accès à l’eau courante et l’électricité. Ils expriment majoritairement une préférence pour l’accession à la propriété, au moyen d’un crédit, ainsi que le souhait que leur nouveau logement se situe dans leur quartier actuel (en raison de leur activité professionnelle et de l’attachement identitaire lié à la dimension culturelle du logement à Madagascar). Ils souhaitent enfin que les logements proposés contribuent à la sécurisation de leurs biens et de leurs occupants (clôture en dur par exemple).

L’étude a proposé trois hypothèses de projet de logement social, selon le type d’acteurs, de lieu d’implantation et de population cible cohérentes avec le PUDi :

1. Réhabilitation de logements,

2. Nouvelles constructions sous forme d’immeubles dans la CUA,

3. Nouvelles constructions sous forme de logements individuels dans les zones périphériques de la CUA.

Enfin, l’étude a insisté sur la nécessité d’un rôle prépondérant des différents acteurs concernés, en particulier les communes et l’Etat à travers la SEIMAD (Société d’Équipement Immobiliers de Madagascar, chargée de la promotion des logements, impliquée dans la définition de la Politique Nationale de l’Habitat, qui travaille de manière autonome mais en étroite relation et sous la supervision de la Direction de l’Aménagement du Territoire) et ses ministères.

A partir de cette étude, le groupe d’ONG a élaboré un projet de restructuration de quartiers centré sur le logement social. L’étude et ce projet ont été présentés en décembre 2005 lors d’un atelier réunissant tous les acteurs concernés. Certaines réactions très positives ont montré le besoin d’entreprendre un tel projet. Un questionnaire a été adressé aux quatre communes sélectionnées par le FIFTAMA (selon des critères pré-établis par les ONG), suivi de visites terrain. C’est ainsi que les communes d’Itaosy, de Bemasoandro et d’Anosizato Ouest se sont associées à Enda Océan Indien pour proposer ce projet.

Une nouvelle conférence publique a été organisée à Antananarivo en octobre 2008. Faute de moyens financiers suffisants pour déployer le vaste projet conçu, Enda poursuit son programme de micro-crédit Habitat au bénéfice de plus de 100 familles par an.

Mais, sans politique publique pérenne reprenant à son compte et étendant ce type d’approche à l’ensemble des zones urbaines en besoin de rénovation, sur quelle durabilité peuvent compter les habitants de ces quartiers ?

C’est pour cela que des réunions régulières de dialogue entre habitants, associations, autorités locales et ministères sont organisées par Enda Océan Indien afin de faire progresser la conscience du problème et d’inciter à l’action publique.

Notes:

Enda Europe est une association française représentant l’ONG internationale Enda Tiers Monde (environnement, développement, action) basée au Sénégal qui agit depuis 1972 en Afrique, en Asie et en Amérique Latine pour « Un monde solidaire et en paix, respectueux des droits et de la dignité humaine, de la justice sociale et de la diversité culturelle, où les différentes ressources sont réparties équitablement et gérées dans l’intérêt des générations actuelles et futures « .

www.enda-europe.org et www.enda.sn

Sources :

D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html