Agir à gauche. L’économie sociale et solidaire.

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Jean-Louis Laville, Editions Desclée de Brouwer (DDB), Paris, France, 2011

Dans un contexte de renouveau de la réflexion sur l’économie sociale et solidaire (ESS) , Jean-Louis Laville spécialiste de sociologie économique et promoteur du concept d’économie solidaire , livre un essai double articulant une analyse synthétique de la place et des enjeux liés à l’ESS avec des propositions de mesures concrètes pour faire de ce champ le levier qui permettra à la gauche de dépasser la société de marché. L’auteur part du constat que la gauche s’est trop longtemps laissée enfermer dans un cloisonnement entre sphères économiques et politiques conduisant à un assèchement des capacités de changement social de la social-démocratie. Il en appelle à un dépassement de la dichotomie entre économie de marché et Etat social par l’avènement d’une socio-économie plurielle, seule à même de respecter des finalités écologiques, sociales et culturelles.

Solidarité ou « social business » : les deux faces de l’ESS

Jean-Louis Laville ouvre son ouvrage sur un bref historique de l’ESS, revenant sur les espoirs de transformations sociales qui l’ont fondée, sans éluder les risques d’instrumentalisation dont elle peut être l’objet. L’auteur introduit d’abord ce qu’il nomme l’« associationnisme solidaire » , qu’il retrouve dès le milieu du XIXe siècle, aussi bien dans les sociétés ouvrières en Europe que dans les associations de Noirs ou de femmes aux Etats-Unis. Cet associationnisme s’illustre par son recours à une démocratie participative concrète qui ne se cantonne pas à la politique formelle mais investit l’économique et le social dans une profonde remise en cause des hiérarchies sociales. Néanmoins, ce premier essor de la solidarité associative est confronté, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, à une reprise en main des élites au pouvoir et à la montée en puissance du capitalisme marchand. Les contestations apparues en réaction aux dégâts sociaux du capitalisme sont habillement détournées de leurs revendications égalitaires originelles. Aux velléités de luttes contre les inégalités, les élites économiques substituent la question de l’apaisement du paupérisme tout en circonscrivant le traitement de la misère au domaine, plus compatible avec leurs intérêts, d’une philanthropie qui ne s’encombre pas de remettre en cause les fondements économiques de la pauvreté .

Les nouvelles organisations qui émergent à cette époque (coopératives, mutuelles,…) se retrouvent alors isolées dans une spécialisation économique qui contraint les aspirations au changement social. Par la suite, même la mise en place de l’Etat social, dans l’orbite duquel une partie de l’ESS va graviter, échoue à démocratiser une sphère économique décidemment bien imperméable aux revendications égalitaires. Mais si leurs aspirations ont été contenues, mutuelles, coopératives, associations, ont su préserver leur modèle et l’ESS connait aujourd’hui un dynamisme attesté par les nombreuses créations d’emploi qu’elle génère. L’auteur pointe pourtant avec justesse les risques d’instrumentalisations dont l’ESS doit se prémunir pour éviter « une inféodation vis-à-vis de l’Etat social ou du capitalisme marchand » . Ainsi, il enjoint les acteurs de l’ESS à prendre garde de ne pas se transformer en simple prestataires de service d’un Etat séduit par le ‘Nouveau Management Public’ et qui chercherait à externaliser ses missions sociales. « Dans ce cas, l’économie sociale et solidaire peut même avaliser le désengagement de l’Etat » prévient Jean-Louis Laville. Le deuxième danger évoqué par l’auteur est l’évolution de l’ESS vers le modèle du « social business, entreprise qui a une finalité sociale mais opère à l’intérieur du système capitaliste comme une entreprise conventionnelle » . L’ESS risque alors de servir de caution sociale à la relégitimation du capitalisme. Ces dangers de doivent pas être ignorés. Selon l’auteur, ils ne doivent pas pour autant masquer le fait qu’une autre trajectoire est possible pour l’ESS car elle procède fondamentalement d’une vision démocratique qui porte en elle une alternative à la vision marchande de la société.

On notera cependant que l’auteur, bien qu’il prenne soin de mentionner les possibles instrumentalisations de l’ESS, ne s’étend pas sur les dérives qui ont pu la marquer et qui sont pourtant au cœur des discussions actuelles des experts de ce domaine . Contre les réductionnismes économiques et politiques Pour Jean-Louis Laville, il ne pourrait y avoir de libération des « potentialités démocratiques » sans remise en cause des conceptions actuelles de l’économie et de la politique.

Premier maux à combattre selon lui, le réductionnisme économique. Trois éléments le caractérisent. D’abord la confusion entre marché et économie. Le marché est alors « posé comme principe premier, ce qui revient à faire ensuite de la redistribution un principe subsidiaire mobilisable dans les seuls cas d’échec du marché » . Ensuite « l’identification du marché à un marché autorégulateur ». Enfin, « l’identification de l’entreprise moderne à l’entreprise capitaliste » . Ce réductionnisme conduit ainsi à une vision de la société dans laquelle « la recherche de l’intérêt privé réaliserait le bien public sans passer par la délibération politique » . Le deuxième réductionnisme, concomitant du premier, est politique. Il repose d’abord sur une confusion entre société civile et marché qui conduit à une conception de l’échange marchand comme « archétype des rapports sociaux en même temps qu’il est la forme naturalisée des rapports économiques » . Il renvoie ensuite à une « subsidiarité de la puissance publique par rapport au marché » qui cantonne l’Etat « à fournir l’encadrement institutionnel approprié à l’expression des mécanismes marchands » . Enfin, la démocratie est réduite à sa seule forme représentative et sa dimension délibérative est occultée.

Pour passer outre ces réductionnismes, les réponses de la social-démocratie ont certes permis des avancées, mais qui sont restées limitées et qui sont surtout en décalage avec la nouvelle réalité d’un capitalisme mondialisé ultra-financiarisé et de la prise de conscience des impératifs de la transition écologique. Car même si l’Etat providence régulateur et redistributeur a, pendant un temps, ralentit la logique de marchandisation de la société il a montré une trop forte « propension à considérer les usagers des services publics comme des assujettis […] et la parole des simples citoyens y est largement ignorée ». Sans compter que sa « solidarité redistributive reste dans une dépendance à la croissance marchande » .

Article de www.nonfiction.fr/article-4876-agir_a_gauche.htm