Luttes paysannes en Argentine

Marie Allagnat, maggio 2012

« Nous sommes terre ! ». Debout au centre d’un grand drapeau rouge et vert étendu sur le sol, entre des pommes de terre, des graines, des plantes en pot et des pelles disposées en cercle autour d’elle, une femme au visage large, aux pommettes hautes et a la peau cuivrée porte à bout de bras un enfant de quelques mois. Elle lance à nouveau d’une voix forte : « Nous sommes terre ! ». L’assemblée entourant la scène, chargée de plantes, graines ou drapeaux de différentes organisations paysannes, répond en chœur « Pour alimenter les peuples ! ». « Qui sommes-nous ? » lance à pleins poumons une autre femme dans l’assistance. « Paysans ! » répond le chœur. « Que voulons-nous ? ». « Terre, travail et justice ! ». Une guitare entame une mélodie entraînante, et le chœur immobile se transforme en marée mouvante et dansante. La mystique (1) de clôture de l’Ecole de Formation Politique 2011 du MNCI (mouvement national paysan et indigène, Argentine) se termine. Elle clôt quatre jours de débats et formations sur la conjoncture nationale et internationale, la souveraineté alimentaire, les idées de Mariátegui (2) leur actualisation, et enfin et surtout le rôle du paysannat comme sujet politique, historique, économique et social.

Le paysannat comme sujet économique et politique, au XXIème siècle ? Au sein de la Vía campesina, sans doute le plus ample et dynamique des mouvements sociaux internationaux à l’heure actuelle, cette question ne laisse aucun doute : bien loin d’être voué à la disparition, le monde paysan a un rôle majeur à jouer dans la résolution de la crise globale et multidimensionnelle actuelle, et la défense et le développement de l’agriculture paysanne est une des voies de transformation sociale. Rejeter le modèle de l’agrobusiness implique un ensemble de choix économiques, politiques, sociaux, écologiques et culturels qui mettent en cause l’ensemble du modèle de développement actuel, capitaliste et néolibéral.

En Argentine, le modèle de l’agro-négoce et de la monoculture d’exportation, qui s’est greffé sur les restes du modèle agricole hérité de la colonisation, a connu un essor considérable depuis les années 1990, en particulier avec l’expansion de la monoculture de soja sur une grande partie du Nord-Ouest du pays, soja destiné à l’alimentation de l’élevage intensif européen et nord-américain. Durant les années 1990, plus de 300 000 familles paysannes ont été expulsées par l’agro négoce et condamnées à l’exode rural. L’accaparement des terres pour des raisons spéculatives s’est récemment ajouté à leur accaparement pour la monoculture d’exportation, mais celle-ci demeure la principale source d’expulsion des paysans. Aujourd’hui, les familles paysannes, qui forment 85 % des producteurs agricoles, ne disposent que de 13 % des terres agricoles, tandis que les 4 % formés par les grands entrepreneurs agricoles en possèdent 65 %. L’avancée de la culture du soja, de l’élevage bovin à grande échelle (Sud) ou encore de la monoculture de pin pour l’industrie du papier (Nord-Est) atteint désormais les zones les plus reculées et déshéritées, où ont été relégués les derniers paysans. La hausse des prix des produits alimentaires conduit en outre les multinationales à investir dans l’achat de terres pour différentes productions d’exportation (oléagineux pour les agro carburants, vin, olives, amandes, pomme de terre, etc…). Cette razzia (étrangère ou non) sur les terres, venant renforcer et aggraver le processus d’exclusion et de destruction du paysannat et des peuples indigènes, a provoqué la naissance de nouveaux mouvements paysans locaux et provinciaux — et la réactivation de mouvements plus anciens. Ces mêmes années 1990, dans de nombreux pays du Sud, les mouvements paysans prennent un essor important et décident de coordonner leurs luttes au sein de la Vía campesina. En 1996 apparaît ainsi le concept de la souveraineté alimentaire, lors de la conférence internationale de Tlaxcala. Au-delà des préjudices que signifie l’avancée de l’agrobusiness pour le monde paysan, il s’agit de rejeter un modèle destructeur pour l’ensemble de la société, à tous niveaux : social, économique, écologique, culturel, sanitaire…

En Argentine, les mouvements locaux et provinciaux opposant le modèle de l’agriculture paysanne à celui de l’agrobusiness se rencontrent fréquemment, à partir des années 2000, pour différentes actions nationales et au sein de la Coordination latino américaine des organisations paysannes (CLOC). Plusieurs d’entre eux décident alors d’articuler leurs luttes de manière plus formelle au niveau national, et ainsi naît, en 2006, le Mouvement National Paysan et Indigène (MNCI). Ce mouvement représente une proportion peu connue du campo argentin, et essaie de faire entendre sa voix face aux puissantes corporations agricoles, qui réunies au sein de la Mesa de enlace, ont défrayé la chronique lors du grand conflit social de 2008. Ce conflit, présenté comme un mouvement social inédit dans la plupart des grands médias, relevait en réalité d’un soulèvement de l’entreprenariat rural contre un projet de loi du gouvernement destiné à redistribuer une partie des rentes agricoles par le biais de taxes sur l’exportation du soja (ley 125). Pour beaucoup d’Argentins, le monde rural se résume à la Mesa de enlace, et à la figure de l’entrepeneur agricole, producteur de valeurs ajoutées à travers la monoculture d’exportation. Un des défis du MNCI est donc de faire connaître la réalité du monde paysan et de défendre le mode d’agriculture qu’il incarne.

Le mouvement comprend des organisations anciennes et déjà très expérimentées, comme le Mouvement paysan de Santiago del Estero (MOCASE), d’autres plus récentes, comme l’Union des travailleurs ruraux sans terre de Mendoza (UST) ou les organisations réunies au sein du Mouvement paysan de Córdoba (MCC). D’autres organisations, nouvelles ou anciennes, se sont intégrées peu à peu au mouvement, tout en gardant leur autonomie et leurs particularités organisationnelles. Aujourd’hui, le MNCI articule les luttes de paysans, peuples indigènes, sans terre, travailleurs semi urbains, etc…, organisés dans les provinces de Jujuy, Salta, Santiago del Estero, Córdoba, Mendoza, Buenos Aires, Santa Fe (Rosario) et Neuquén. Fortement influencé par le Mouvement des Sans Terre brésilien (MST) et en lien permanent avec celui-ci, le MNCI se revendique comme « organisation de base », c’est-à-dire fonctionnant de bas en haut et reposant sur l’organisation de chaque « communauté » ou « groupe de base ». Au niveau national, il fonctionne à travers un secrétariat général (composé de militants des diverses provinces) et différentes commissions qui recouvrent les activités de base : production et commercialisation, santé, éducation et formation, communication, territoire, etc… Les décisions majeures sont prises lors des assemblées générales qui ont lieu chaque trimestre, et trois événements permettent aux militants ou participants de se retrouver et d’échanger pendant l’année : l’école de la mémoire, le campement latino américain de jeunes et l’école de formation politique.

Conflits et luttes pour la terre

La préoccupation prioritaire des organisations paysannes, adhérentes ou non du MNCI, est évidemment la défense et la répartition de la terre. Partout, les conflits sur la terre occupent une grande partie des énergies militantes. Il s’agit de défendre la terre des compañeros menacés d’expulsion par les entrepreneurs de l’agro-négoce, grands propriétaires locaux, entrepreneurs nationaux ou multinationales. Ceux-ci profitent du désordre cadastral argentin pour acheter de faux titres de propriété par différentes manœuvres et actes de corruption, s’approprier des terres dites « inhabitées » et clôturer des centaines d’hectares, avant d’expulser à grand renfort de bulldozer les familles qui, bien que vivant depuis des générations sur les lieux, ont peu de possibilité de défense légale. Aujourd’hui, la loi argentine protège pourtant, du moins sur le papier, les « propriétaires de fait ». Mais peu de personnes en ont connaissance, et trop peu d’avocats se battent pour qu’elle soit appliquée dans les conflits de propriété. La stratégie la plus récurrente d’accaparement de terre est la clôture de terrains à usage communautaire, vides d’habitations et utilisés traditionnellement pour la pâture des animaux. Dans les zones sèches, ces terrains sont nécessairement très étendus, du fait du peu de végétation disponible. Les exemples de ce type de conflit, qu’affrontent les organisations, abondent : seulement dans la province de Mendoza et pour les seuls paysans et travailleurs sans terre organisés au sein de l’UST, on recense 36 conflits concernant chacun des dizaines de familles. L’un d’entre eux est mené par une multinationale coréenne, Nuevo Cosmos S.A., qui a acheté 8 300 hectares de terres dites « inhabitées » sur le territoire de la communauté de La Verde, où vivent depuis des années dix familles paysannes. La multinationale compte y produire des amandes pour l’exportation, et a importé de la main d’œuvre coréenne pour commencer le travail de nettoyage, de forrage de puits et de plantation. L’intimidation exercée sur ce territoire n’a cessé de croître : menaces orales et physiques, actions de violence, corruption des autorités locales et d’une partie des habitants eux-mêmes, etc… Un autre exemple emblématique des conflits liés à la terre a lieu dans le nord-est de la province de Córdoba, où un grand entrepreneur agricole de la province d’Entre Ríos, D. Fritzler, a clôturé au bord du fleuve Río Dulce 23 000 hectares de terres servant traditionnellement pour la pâture et l’abreuvement des animaux — chèvres, vaches et chevaux — après avoir acheté un faux titre de propriété. Cette stratégie permet l’expulsion indirecte des paysans (dans ce cas, 35 familles), qui, privés des terres de pâtures, n’ont d’autre choix que chercher d’autres sources de revenu, la plupart du temps en émigrant dans un bidonville de la ville la plus proche.

L’eau, un bien commun confisqué, aux mains de l’agrobusiness

D’autres stratégies d’expulsion indirecte existent, comme celle de priver les paysans d’eau sous prétexte d’une rationalisation de l’irrigation. Dans la province de Mendoza par exemple, la construction de retenues d’eau et de systèmes d’irrigation pour la viticulture à partir de la fin du XIXème siècle a ainsi conduit a une privatisation des ressources en eau : les fleuves sortant des zones irriguées ont été complètement asséchés, et les lacs autrefois au cœur de l’économie paysanne des communautés Huarpes, peuple d’agriculteurs et de pêcheurs, ont été rayés de la carte. Les « oasis » irriguées concernent aujourd’hui 3 % des terres de la province, et sont toujours administrées par la même institution, inchangée depuis le XIXème siècle, le département général d’irrigation (DGI), et intégrée par l’élite conservatrice locale (grands propriétaires viticoles). L’obtention des droits d’irrigation dépend de cette institution et nécessite la possession d’un titre de propriété : l’accès à l’eau est donc toujours lié à l’accès à la terre, et la privatisation des deux ressources va de pair. Les paysans vivent désormais pour leur grande majorité dans ce qu’on appelle le secano, zone sèche ou l’élevage (principalement de chèvres) ne permet pas à lui seul la survie des familles, qui forment donc, avec les immigrés boliviens, la main d’œuvre bon marché des immenses exploitations viticoles. Plusieurs familles vivent ainsi l’année divisée entre la saison des vendanges, durant laquelle toute la famille se déplace pour plusieurs mois et vit dans des conditions précaires, et la saison dédiée à l’élevage, dans une zone transformée en semi désert social. D’autres, beaucoup plus nombreuses, abandonnent complètement le secano et intègrent la catégorie des travailleurs ruraux sans terre. Ce mode d’expansion de l’agro négoce sur les terres paysannes par la confiscation des ressources en eau continue jusqu’à nos jours et a lieu dans l’ensemble du territoire : dans la province de Córdoba entre autre, un processus similaire de rationalisation de l’irrigation par l’établissement d’un barrage à la fin des années 1970 (barrage de Pichanas) a privé plusieurs centaines de familles de l’eau du fleuve utilisée traditionnellement pour leurs cultures et leurs animaux. La zone irriguée a été appropriée par de grands entrepreneurs, tandis que la zone asséchée s’est transformée en territoire de pauvreté, d’exclusion et d’exode rural. Si ces zones sèches sont des zones d’exclusion économique et sociale, elles sont aujourd’hui elles-mêmes concernées par l’avancée de la frontière agro-industrielle (soja, biocarburants, pin ou élevage bovin). Là encore, les cas d’appropriation de terres et de conflits sont innombrables…

Résistance et défense des terres paysannes

Face à ces situations d’accaparement des terres, les mouvements paysans utilisent tous les moyens qui sont à leur disposition pour résister, à court, moyen et long terme : présence solidaire lorsque interviennent les bulldozers, chaînes humaines, ouverture des clôtures, communiqués de presse et informations alternatives, défense et suivi juridique des personnes concernées (à la condition que celles-ci participent activement au conflit, et jamais à leur place, c’est une position du mouvement), ateliers de formation juridique sur les droits liés à la terre, occupation et réoccupation de terres, lobbying législatif, etc… Grâce à toutes ces actions, les paysans organisés arrivent souvent à conserver leur terre, mais non sans payer le prix fort. Au-delà de la répression policière et judiciaire (condamnations pour usurpation, interventions policières violentes et non-assistance — surtout au niveau local du fait de la corruption —, les puissances de l’agro-négoce utilisent leurs propres voies d’intimidation. Ce 16 novembre, un militant du mouvement paysan de Santiago del Estero (MOCASE), membre du MNCI, résistant à l’avancée du soja sur les terres de sa communauté a été assassiné chez lui par des hommes de main d’un entrepreneur. Après une forte mobilisation nationale, les assassins et l’entrepreneur responsable du crime ont été arrêtés, et le gouvernement de la province de Santiago del Estero a produit dans l’urgence une loi interdisant les expulsions de paysans pour six mois. Au niveau national, la loi contre les expulsions arbitraires, résultat d’années de lutte des mouvements paysans, est actuellement en débat au Congrès. L’application réelle des droits du propriétaire de fait (poseedor) face au droit du détenteur du titre de propriété est aussi en chemin. D’autre part, la reconnaissance constitutionnelle (depuis 1994) de la propriété communautaire des communautés indigènes reconnues par les pouvoirs publics à travers l’institut national des faits indigènes (INAI), si elle est une source de tensions et de divisions, permet de défendre la terre des paysans et indigènes vivant sur ces territoires, et sert de référence pour demander son extension à l’ensemble des zones concernées par l’usage communautaire de la terre.

Réforme agraire intégrale et souveraineté alimentaire

Mais le MNCI demande beaucoup plus que des lois mettant fin aux expulsions arbitraires : ses deux principaux mots d’ordre sont la réforme agraire intégrale (répartition de l’ensemble des biens communs : terre mais aussi eau, éducation, santé…) et la souveraineté alimentaire (droit des communautés, des régions et des États de décider de la production et de la répartition des produits alimentaire sur leur territoire), pour lesquels le mouvement met en place différentes stratégies de luttes. À court terme, les luttes sont appuyées par des expériences concrètes : résolution collective des problèmes d’approvisionnement en eau, coopératives de production et de transformation, achats et ventes collectifs, foires et marchés paysans, chaînes de production paysanne, réseaux de commerce équitable et local, formations à l’agro écologie, mise en place « d’écoles paysannes » en zone rurale, avec des formations adaptées, etc… Plusieurs de ces expériences concrètes nécessitent une articulation avec de nombreux autres acteurs, notamment urbains : le mouvement est en lien avec des ouvriers-coopérateurs des usines récupérées (abattoirs, usines de traitement du cuir, etc…), avec des étudiants et des consommateurs organisés ou non (réseaux de commerce équitable, foires, etc…), avec des professeurs et chercheurs militants (interventions dans les écoles paysannes, recherches-actions pour la résolution de problèmes concrets, etc…), avec des médias alternatifs, des mouvements urbains (échanges de pratiques et de produits), etc… De fait, plusieurs organisations locales membres du MNCI sont urbaines ou périurbaines : Ser Cupo à Buenos Aires, qui organise la souveraineté alimentaire dans les quartiers et en province, et prend en charge une grande part de la commercialisation des produits au niveau national, Giros à Rosario, qui travaille sur le logement et l’agriculture urbaine, etc…

À moyen terme, des propositions concrètes sont présentées aux pouvoirs publics, souvent inspirées d’expériences de pays voisins. En ce qui concerne la souveraineté alimentaire par exemple, le MNCI demande à l’État de devenir consommateur de produits paysans, sur l’exemple du Brésil où 30 % des produits alimentaires achetés par l’État (administrations, école, plans alimentaires sociaux etc…) doivent venir de l’agriculture paysanne (victoire du MST, mouvement des sans terre). En ce qui concerne la réforme agraire, le mouvement a présenté un projet de loi de réforme agraire, appelée « loi paysanne indigène ». Le projet comprend des éléments comme la garantie par l’État de l’usage social de la terre (production, respect de l’environnement, droits sociaux des travailleurs agricoles), la reconnaissance juridique de la propriété communautaire (déjà reconnue pour les communautés indigènes), l’arrêt d’urgence des expulsions prononcées dans les tribunaux, etc…

À plus long terme, le mouvement demande un changement social plus global, en insistant fortement sur l’alliance et les échanges entre mouvements urbains et ruraux (plusieurs des luttes sont articulées avec des mouvements urbains, principalement des mouvements de chômeurs et d’étudiants, et plusieurs d’entre eux sont désormais invités au campement latino-américain de jeunes). Bien que la plupart des références politiques concernant un projet de société à long terme soient celles du socialisme dans sa version latino-américaine, les divergences sont nombreuses. Elles s’expriment au quotidien dans les débats du mouvement concernant les politiques du gouvernement de Cristina Kirchner.

L’Etat kichnériste et les paysans

La posture « néo developpementaliste » du gouvernement kichneriste, réaffirmée à travers la mise en place du Programme stratégique agricole 2011-2020 (PEA), propose un timide soutien à l’agriculture familiale à travers divers programmes et plans sociaux, et un soutien bien plus marqué (et contradictoire) au développement de la mono-culture d’exportation (réaffirmation au dernier G 20 en juin 2011 de la volonté de doubler la production de céréales du pays d’ici 2020, entre autre). La contradiction entre les deux positions — le développement de l’agro négoce implique toujours des expulsions de paysans et exode rural — prétend être résolue par une intégration de la petite agriculture au modèle de l’agrobusiness (micro entreprise intégrée au marché à travers le complexe agroindustriel). Cette position s’inspire directement du modèle européen « d’externalisa-tion des risques » de l’agro industrie à travers l’entreprise agricole familiale, avec les conséquences qu’on connaît : endettement, dépendance, pollutions diverses, perte de la diversification de la production, etc… Les programmes « assistancialistes » du sous-secrétariat de l’agriculture familiale illustrent encore les contradictions de cette position, partagée par les gouvernements du « Cono Sur » (Argentine, Chili, Uruguay, Brésil) : l’agriculture paysanne, si elle n’évolue pas vers la microentreprise intégrée au marché global, reste à leurs yeux un modèle lié au sous-développement, et le paysan un exclu concerné par l’assistanat et les programmes sociaux. Cependant, plusieurs politiques du gouvernement national (programmes du sous-secrétariat à l’agriculture familiale, loi sur les médias, loi limitant l’achat de terres par des entreprises étrangères, projet de la ley 125, « loi sur les bois » contre la déforestation, etc…), ainsi que certaines évolutions des institutions publiques indépendantes comme l’INTA et l’INTI (3) sont favorables aux organisations paysannes, ou du moins considérées comme autant d’opportunités pour développer leurs différentes activités productives et militantes. Par ailleurs, la position officielle d’ouverture aux organisations sociales et à leur participation permet au mouvement de travailler en relation avec les pouvoirs législatifs provinciaux et nationaux sur certains points : la loi contre les expulsions présentée au Congrès national a déjà reçu le soutien de plusieurs blocs parlementaires, à Córdoba le MCC a pu participer à l’élaboration de l’adaptation provinciale de la « loi sur les bois », à Mendoza l’UST participe à l’élaboration d’une loi sur l’économie sociale, etc…

Si les paysans sont donc de retour dans l’espace public argentin comme dans le monde entier, dans tous les domaines (politique, économie, culture, santé etc…), leurs luttes sont encore trop peu relayées et entendues pour penser mettre un frein à l’expansion rapide de l’agrobusiness. Il s’agit d’agir, chacun sur son territoire et au sein de son (ses) organisation (s), pour faire connaître les luttes paysannes en cours — en Argentine, en France et ailleurs — et les renforcer. Nous nous trouvons face à un choix urgent, un choix de société : ou nous laissons se développer l’agrobusiness et la logique de violence et de destruction qu’il implique, ou nous œuvrons pour la préservation et le développement de l’agriculture paysanne, pour la souveraineté alimentaire et un nouveau rapport à la terre concrétisé par des réformes agraires. Ou nous décidons d’alimenter les peuples, ou nous acceptons la privatisation des biens communs et la concentration des richesses dans quelques mains.

Ainsi se termine chaque manifestation des mouvements paysans latinoaméricains : « ¡ Globalicemos la lucha ! ¡ Globalicemos la esperanza ! » (4).

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(1) Moment collectif, festif et symbolique de mise en action des enjeux et luttes d’une organisation sociale.

(2) Journaliste, écrivain et homme politique péruvien (1895-1930), connu pour avoir importé les théories marxistes en Amérique latine et les avoir adaptées et travaillées selon la réalité locale, en particulier concernant le paysannat et les peuples indigènes.

(3) Institut National de Technologie Agricole et Institut National de Technologie industrielle

(4) Globalisons la lutte ! Globalisons l’espérance !

Fonti :

D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html

L’article fait partie du numéro 157 de la Revue Informations et Commentaires intitulé « La crise, toujours !"- Octobre/Décembre 2011.

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