Un siècle et demi d’économie sociale au Québec : plusieurs configurations en présence (1850-2007)

Cahier de l’ARUC-ÉS. Cahier No : C-15-2007

Benoît Lévesque, October 2007

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À partir principalement des études historiques et sociologiques réalisées sur les coopératives, les mutuelles et les associations ayant des activités économiques, nous esquissons un aperçu de l’économie sociale sur un siècle et demi, soit de 1850 à aujourd’hui. S’il fut question de l’économie sociale au tournant du XXe siècle, le terme ne fut guère utilisé pour un peu moins d’un siècle alors qu’il réapparaît en 1996. Toutefois, si l’on adopte un point de vue analytique, il est possible d’identifier les moments forts où des groupements de personnes engagés dans la production de biens et de services ont exprimé une volonté plus ou moins forte de convergence. Il est même possible d’identifier des configurations à partir de dimensions telles une conjoncture économique et un contexte institutionnel plus ou moins favorables, des acteurs individuels et collectifs porteurs d’une vision dynamisant les projets pris un à un, des regroupements et des outils de développement, une reconnaissance et un soutien plus ou moins affirmé des pouvoirs publics.

Outre une périodisation pour la longue période retenue, nous avons aussi réussi à identifier et à caractériser, sans doute à grands traits, cinq configurations. La première, l’économie solidaire, est apparue au XIXe siècle avec les sociétés de secours mutuel, puis s’est manifestée à nouveau dans les années 1980 avec les groupes communautaires; elle se démarque par une recherche d’autonomie, d’autogestion et de solidarité, à travers entre autres des activités non marchandes, mais n’a réussi à obtenir le soutien de l’État que dans la période actuelle. La deuxième, celle de l’économie sociale patronnée par les « autorités sociales », selon l’expression de Le Play, s’affirme au tournant du XXe siècle avec la montée des grandes mutuelles et surtout des coopératives agricoles et des caisses d’épargne et de crédit. La troisième, celle inspirée par le corporatisme social et la doctrine sociale de l’Église, est en continuité avec la précédente, mais avec une dose plus forte de nationalisme de conservation, tout en demeurant à dominante rurale malgré une ouverture vers les milieux urbains avec les coopératives de consommation et d’habitation. La quatrième, celle du nationalisme économique, représente une rupture dans la mesure où l’anti-étatisme fait place à une concertation avec l’État et à la participation à des entreprises mixtes telles la SGF et la SDC, mais représente aussi une certaine continuité au regard du contrôle des entreprises québécoises par des francophones, ce qui ne sera pas sans créer des tensions très vives aussi bien du côté de ceux qui voudraient aller plus loin dans le sens du nationalisme économique que de ceux qui remettent en question une telle instrumentation de la coopération. Enfin, la dernière configuration, celle de la période actuelle, est à la fois celle d’une certaine convergence entre l’économie solidaire et l’économie sociale dans la perspective d’un partenariat avec l’État aussi bien pour le développement économique que le développement social, ce qui n’est pas sans donner lieu à des tensions qui sont pour le moment créatrices. Cette dernière convergence représente un tournant historique puisqu’elle semble favoriser la constitution d’un système d’innovation relativement spécifique, en dépit des tensions au plan de la gouvernance d’un tel système.